Les Zygènes

Publié le 27 juillet 2021 - Mis à jour le 8 décembre 2023

Les Zygènes sont de petits papillons aux ailes noires parsemées de taches rouge vif plus ou moins étendues que l’on peut fréquemment observer, en été, sur les lavandes ou les scabieuses qu’ils butinent volontiers. Ces lépidoptères sont singuliers car ils présentent à la fois des caractères des papillons de nuit (Hétérocères) et des caractères des papillons de jour (Rhopalocères). Ils possèdent en effet des antennes épaisses et au repos replient leurs ailes en toit au-dessus de leur abdomen, ce qui les apparente aux Hétérocères mais leur activité est strictement diurne comme chez les Rhopalocères. Aussi les Zygènes sont-elles classées parmi les Hétérocères diurnes, groupe qui réunit tous les Hétérocères totalement ou partiellement diurnes.

Zygène de la Faucille
Zygène de la Faucille aux antennes massives et aux ailes en toit recouvrant l’abdomen.
(Zygaena loti ; Zygaenidae)
Azuré de la Luzerne
Pour comparaison, un Azuré de la Luzerne, papillon de jour aux antennes fines terminées en massue et aux ailes relevées au-dessus du thorax.
(Leptotes pirithous ; Lycaenidae)
Procris
Procris butinant sur un Chardon.
(Jordanita sp. ; Zygaenidae Procridinae)
Elles font partie de la famille des Zygaenidae qui regroupe plus d’un millier d’espèces dans le monde. En France, cette famille compte 40 espèces réparties en trois sous-familles. Les 26 espèces de Zygènes constituent la sous-famille des Zygaeninae. Les Procridinae rassemblent 13 espèces de Procris dont certains arborent de magnifiques reflets métalliques verts ou bleus. Quant à la sous-famille des Chalcosiinae, elle ne compte en France qu’un seul représentant, l’Aglaope des haies (Aglaope infausta), un petit papillon aux ailes antérieures noires et ailes postérieures rouges. Les noms vernaculaires utilisés dans cet article sont ceux préconisés par Drouet et al. dans la "Révision systématique, taxinomique et nomenclaturale des Rhopalocera et des Zygaenidae" (Museum National d’Histoire Naturelle).

Les Zygènes sont des papillons de taille modeste dont l’envergure avoisine généralement les 3 cm. On peut les observer une grande partie de l’année. La Zygène de la Badasse (Z. lavandulae) et la Zygène de la Dorycnie (Z. rhadamanthus) sont les plus précoces, les adultes émergeant dès le mois d’avril. La Zygène de la Petite Coronille (Z. fausta), la plus tardive, présente un pic d’émergence entre mi-août et fin septembre. En Provence, il n’est pas rare de la croiser encore à la fin du mois d’octobre.

Zygène de la Badasse
Zygène de la Badasse au collier blanc et aux taches rouges soulignées de noir.
(Zygaena lavandulae ; Zygaenidae)
Zygène cendrée
Zygène de la Dorycnie, espèce protégée.
(Zygaena rhadamanthus)
Crédit photo : JP Moussus
Zygène de la Petite Coronille
Zygène de la Petite Coronille, la plus tardive, au collier rouge caractéristique.
(Zygaena fausta)

La plupart n’ont qu’une seule génération par an mais dans les régions les plus clémentes, deux émergences peuvent être observées pour quelques espèces comme la Zygène des prés (Z. trifolii), la Zygène des Lotiers (Z. filipendulae) ou la Zygène de la Petite Coronille. Chez la Zygène des sommets (Z. exulans), une espèce de l’étage alpin que l’on peut rencontrer dans les pelouses et combes à neige entre 2000m et plus de 3000m, le cycle dure deux ans, sans doute en raison des conditions extrêmes qui règnent à cette altitude.

Zygène des prés
Zygène des prés aux taches rouges souvent confluentes.
(Zygaena trifolii)
Zygène de la Filipendule
Zygène des Lotiers, la plus commune.
(Zygaena filipendulae)

Si la Zygène des Lotiers ou la Zygène des prés sont présentes dans presque toutes les régions de France, d’autres espèces sont plus localisées. C’est le cas de la Zygène de la Badasse, de la Zygène de la Dorycnie ou de la Zygène occitane (Z. occitanica) dont la distribution est typiquement méditerranéenne. La Zygène des Gesses (Z. nevadensis) ne se rencontre que dans quelques départements du sud-est ainsi que dans les Pyrénées-Orientales. Quant à la Zygène du Panicaut-bleu (Z. contaminei) et la Zygène des Pyrénées (Z. anthyllidis), elles ne peuvent être observées que dans certaines parties de la chaîne pyrénéenne.

Zygène occitane
Zygène occitane, espèce méditerranéenne.
(Zygaena occitanica)
Zygène ibère
Zygène des Gesses dans les Baronnies provençales.
(Zygaena nevadensis)

Leurs exigences écologiques sont variées. La plupart sont des espèces de plaine ou de moyenne montagne affectionnant les milieux ouverts, surtout chauds et secs. La Zygène des prés préfère cependant les prairies humides à hautes herbes. La Zygène des sommets et la Zygène des Pyrénées sont inféodées aux pelouses de haute d’altitude, froides et humides pour la première, ensoleillés pour la seconde. La Zygène des bois (Z. lonicerae), celle des Vesces (Z. romeo) et celle de la Jarosse (Z. osterodensis) comptent parmi les rares espèces à apprécier les biotopes ombragés.

Zygène rubiconde
Zygène rubiconde dans une pelouse sèche provençale.
(Zygaena erythrus)
Zygène du Panicaut
Zygène des Panicauts dans une clairière sèche des pentes du Ventoux.
(Zygaena sarpedon)
Zygène des bois
Zygène des bois en lisière de chênaie pubescente.
(Zygaena lonicerae)
Zygène de la Jarosse
Zygène de la Jarosse dans un sous-bois pyrénéen du massif du Canigou.
(Zygaena osterodensis)

Les adultes butinent un grand nombre d’espèces végétales : Centranthe, Centaurée, Lavande, Scabieuse, Cirse, Panicaut, Echinops, Aphyllanthe... Les chenilles sont plus restrictives dans leurs choix alimentaires, leurs plantes-hôtes appartenant majoritairement à la famille des Fabacées (Hippocrépides, Lotiers, Vesces, Gesses, Trèfles, Sainfoins) ou, pour cinq d’entre elles, à celle des Apiacées (Panicauts, Boucages, Peucédan).

Les œufs sont pondus sur les plantes-hôtes sous forme d’amas d’une douzaine à plus d’une centaine d’œufs, disposés de façon régulière ou irrégulière selon l’espèce. La Zygène de la Vésubie (Z. brizae) les fixe le plus souvent isolément dans le feutrage des feuilles de Cirses (Astéracées). La durée de l’incubation varie généralement de 6 à 12 jours. Chez de nombreuses espèces les chenilles, dès leur sortie de l’œuf, se livrent à un surprenant cannibalisme vis-à-vis des oeufs non éclos. Des études ont montré que cette source abondante de protéines animales assure aux larves néonates un développement meilleur et plus rapide qu’en absence de cannibalisme.

A l’exception des chenilles de la Zygène de la Petite Coronille et de la Zygène de la Badasse qui continuent à s’alimenter pendant l’hiver, les chenilles des Zygènes entrent en diapause pour hiverner à la fin du deuxième stade larvaire puis elles reprennent leur développement au printemps suivant. Elles se métamorphosent dans un cocon de soie blanc jaunâtre, fusiforme ou ovoïde, souvent fixé sur un brin d’herbe mais dissimulé sur le sol chez la Zygène de la Dorycnie.

Zygène des bois
Chenille de Zygène des bois s’alimentant sur une Fabacée, le Lotier maritime.
(Zygaena lonicerae )
Zygène rubiconde
Chenille de Zygène rubiconde sur sa plante nourricière, le Panicaut champêtre.
(Zygaena erythrus)
Zygène des prés
Cocon et exuvie d’une Zygène des prés après l’émergence du papillon.
(Zygaena trifolii)
Crédit photo : MT Ziano

Le corps des Zygènes retient facilement les grains de pollen lors du butinage. En passant d’une fleur à l’autre, ces petits papillons contribuent efficacement à la pollinisation des fleurs sauvages.

Zygène de la Coronille variée
Zygène de la Coronille variée se chargeant en pollen en butinant.
(Zygaena ephialtes )
Zygène des Lotiers
Gros plan sur une Zygène des Lotiers au corps couvert de pollen.
(Zygaena filipendulae)
Zygène de Dufay
Zygène transalpine aux taches rouge minium traduisant sa toxicité.
(Zygaena transalpina dufayi)
Bien que peu farouches et facilement repérables avec leurs couleurs vives et contrastées, les Zygènes ne craignent guère les prédateurs. Leur livrée rouge et noire est un avertissement visuel qui indique aux prédateurs potentiels, notamment les oiseaux, qu’elles sont inconsommables. Cette stratégie de défense est appelée aposématisme. Les Zygènes synthétisent de novo et accumulent dès leur vie larvaire des glycosides cyanogènes. Ces composés sont aussi présents chez les plantes de la famille des Fabacées et peuvent être séquestrés par la chenille à partir de la plante nourricière. Au contact des enzymes digestives du prédateur, ces glycosides libèrent du cyanure d’hydrogène (HCN) à la toxicité redoutable. De récentes études ont montré qu’il n’existait pas de corrélation entre l’intensité des couleurs des Zygènes et leur concentration en glycosides cyanogènes.

Ces substances toxiques ne découragent pourtant pas certains insectes prédateurs comme les Réduves, punaises carnivores au rostre puissant, qu’il n’est pas rare de voir capturer l’une d’elles. Chassant à l’affut dans la végétation, ces punaises injectent dans leur proie une salive protéolytique toxique qui l’immobilise et liquéfie ses tissus internes. Cette bouillie pré-digérée est ensuite ingérée à l’aide du rostre.

Réduve
Réduve, grande punaise chassant à l’affût.
(Rhynocoris sp. ; Reduviidae)
Réduve
Réduve ingérant les tissus liquéfiés d’une Zygène.
(Rhynocoris sp. ; Reduviidae)

L’identification des Zygènes, basée principalement sur le nombre et la forme des taches des ailes antérieures ainsi que sur l’épaisseur de la bordure des ailes postérieures, est assez délicate. La variabilité est souvent importante au sein d’une même espèce et les sous-espèces décrites sont nombreuses. Ainsi, en France, la diversité d’ornementation de la Zygène des Lotiers a conduit à la description de 9 sous-espèces. La sous-espèce (polygalae) qui vole dans une grande partie de la France présente 6 taches rouges sur un fond noir plus ou moins mat. Elle diffère de la sous-espèce des Pyrénées-Orientales (pyrenes) à 5 taches sur un fond noir brillant et de la sous-espèce de Provence (oberthueriana) à 5 ou 6 taches plutôt discrètes sur un fond noir bleuté brillant.

Zygène des Lotiers
Zygène des Lotiers de la région lyonnaise.
(Zygaena filipendulae polygalae)
Zygène des Lotiers
Zygène des Lotiers de Cerdagne.
(Zygaena filipendulae pyrenes)
Zygène des Lotiers
Zygène des Lotiers du Ventoux.
(Zygaena filipendulae oberthueriana)

La Zygène de la Coronille variée est, de plus, polymorphe. Elle regroupe deux populations génétiques dans lesquelles on peut rencontrer des individus à 5 ou 6 taches rouges et à ailes postérieures rouges bordées de noir (Z. ephialtes forme peucédanoïde), d’autres à 5 ou 6 taches blanches et à ailes postérieures noires ornées d’une unique tache blanche (Z. ephialtes forme éphialtoïde). Les trois photos qui suivent ont toutes été prises sur un même site du Nord-Vaucluse où vole la sous-espèce lurica.

Zygène de la Coronille variée
Zygène de la Coronille variée , forme peucédanoïde à 5 taches.
(Zygaena ephialtes lurica)
Zygène de la Coronille variée
Zygènes de la Coronille variée, formes peucédanoïde à 6 taches à gauche et éphialtoïde à 5 taches à droite.
(Zygaena ephialtes lurica)
Zygène de la Coronille variée
Zygène de la Coronille variée, forme éphialtoïde à 6 taches.
(Zygaena ephialtes lurica)

Les accouplements peuvent aussi conduire à des erreurs d’identification des partenaires car les copulations entre espèces différentes ne sont pas rares chez ces papillons.

Zygènes
Zygènes de la Petite Coronille in copula.
(Zygaena fausta)
Zygènes
Zygène des Lotiers (à gauche) et Zygène de la Coronille variée (à droite) in copula.
(Zygaena filipendulae et Zygaena ephialtes )

Enfin, la Zygène pourpre (Z. purpuralis) et la Zygène diaphane (Z. minos) ne peuvent être distinguées l’une de l’autre que par l’examen des organes copulateurs ou genitalia après dissection, un exercice réservé aux spécialistes. Dans les Pyrénées, la Zygène pourpre est la seule de ces deux espèces à être présente ; elle peut donc être identifiée sur photos sans avoir recours à la dissection.

Zygène pourpre/diaphane
Zygène pourpre ou Zygène diaphane du Ventoux (84) où les deux espèces sont présentes.
(Zygaena purpuralis ou Zygaena minos)
Zygène pourpre
Zygène pourpre pyrénéenne photographiée dans la Vallée du Sègre (66).
(Zygaena purpuralis)

Le diaporama qui accompagne cet article présente quelques Zygènes que l’on peut rencontrer dans le Ventoux et les Baronnies provençales. Pratiquant uniquement la photographie, les papillons n’ont pas fait l’objet d’une capture, ni d’une dissection. Z. purpuralis et Z. minos ne sont donc pas identifiées formellement et sont regroupées en Z. purpuralis/minos.


Pour aller plus loin :

Les glycosides cyanogènes (CNGlcs) font partie des molécules défensives synthétisées par les végétaux pour lutter contre les attaques des insectes phytophages. Leur goût amer est dissuasif et leur hydrolyse par une glucosidase libère du cyanure d’hydrogène (HCN), un inhibiteur de la chaîne respiratoire mitochondriale particulièrement toxique. Ces composés cyanogènes existent aussi dans le règne animal mais uniquement chez les arthropodes, principalement des mille-pattes ou des papillons dont les Zygènes. Au cours de l’évolution, les Zygènes ont acquis la capacité de synthétiser deux CNGlcs, la linamarine et la lotaustraline qui sont aussi les composés cyanogènes retrouvés chez les Fabacées. Résistant à ces molécules, les Zygènes ont pu investir la niche écologique constituée par les plantes de la famille des Fabacées, sans craindre la concurrence des autres espèces. Comme les adultes, les larves synthétisent des CNGlcs mais elles peuvent aussi les séquestrer à partir de leurs plantes-hôtes, la plupart d’entre elles appartenant à la famille des Fabacées. Chez les larves, les CNGlcs sont stockés dans des cavités situées dorsalement au niveau de la cuticule. La glucosidase est quant à elle localisée dans l’hémolymphe. Lorsqu’un prédateur comme un carabe s’attaque à une larve, l’irritation de la cuticule provoque l’émission de gouttelettes très visqueuses et particulièrement riches en CNGlcs qui engluent les mandibules et les pattes du prédateur et l’immobilisent. Cette défense mécanique peut être complétée par l’émission d’HCN si la glucosidase de la larve localisée dans l’hémolymphe est libérée suite à la blessure. Les études effectuées sur la Zygène des Lotiers montrent que les CNGlcs pourraient jouer un rôle plus large dans la biologie des Zygènes dont celui de source d’azote facilement mobilisable pour la synthèse de la chitine lors des mues. Ils joueraient aussi un rôle de phéromones et influeraient sur le choix des mâles par les femelles, celles-ci préférant s’accoupler avec des mâles riches en CNGlcs.

Un grand merci à Eric Drouet pour son expertise, le partage de documents et d’informations ainsi que pour sa relecture avisée. Merci aussi à Jean-Marin Desprez pour nos discussions ainsi qu’à Marie-Thérèse Ziano et Jean-Pierre Moussus pour leurs contributions iconographiques.

Sources :

  • Dupont P., Luquet G., Demerges D., Drouet E. (2013) Révision systématique, taxinomique et nomenclaturale des Rhopalocera et des Zygaenidae de France métropolitaine. Conséquences sur l’acquisition et la gestion d’inventaire. Service du patrimoine naturel, Museum national d’histoire naturelle, Paris. Rapport SPN 19 : 1-201.
  • Hérès A. (2011) Guide des Zygènes de France - Association Roussillonnaise d’Entomologie 143 pp.
  • Collectif (2020) Atlas des papillons de jour et Zygènes de Provence-Alpes-Côte d’Azur - Conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur et le Naturographe éditions 544 pp.
  • Ulrich R. (2020) Hétérocères diurnes - Guide Delachaux 312 pp.
  • Lafranchis T. (2014) Papillons de France - Guide de détermination des papillons diurnes - Diatheo 351 pp.
  • Hofmann A., Kia-Hofmann T. (2011) Ovipositing, egg-batch formation and embryonic development in burnet moths (Zygaena Fabricius, 1775) (Lepidoptera : Zygaenidae). Entomologist’s Gazette (62) 35-68.
  • Hofmann A., Kia-Hofmann T. (2012) Cannibalism of unhatched siblings by larvae of burnet moths (Zygaena Fabricius, 1775), with notes on oophagy and the behaviour of newly hatched larvae (Lepidoptera : Zygaenidae). Entomologist’s Gazette (63) 3-36.
  • Drouet E, Migeon A. (2023) Les sous-espèces de Zygaena filipendulae (Linnaeus, 1758) en France (Lepidoptera : Zygaenidae) Oreina (59) 30-35.
  • Briolat E. S., Zagrobelny M., Olsen C. E., Blount J. D., Stevens M. (2018) Sex differences but no evidence of quantitative honesty in the warning signals of six-spot burnet moths (Zygaena filipendulae L.). Evolution 72 (7) 1460-1474.
  • Fürstenberg-Hägg J., Zagrobelny M., Jorgensen K., Vogel H., Lindberg Moller B., Bak S. (2014) Chemical defense balanced by sequestration and de novo biosynthesis in a lepidopteran specialist. PloS One 9:e108745
  • Zagrobelny M., Pinheiro de Castro E. C., Moller B. L., Bak S. (2018) Cyanogenesis in arthropods : from chemical warfare to nuptial gifts. Insects (9) 51.
  • Oreina - Les papillons de France