Jolies Vanesses

Publié le 24 septembre 2021 - Mis à jour le 26 août 2023

Les Vanesses comptent parmi nos papillons les plus richement colorés et les plus beaux. Elles appartiennent à la grande famille des Nymphalidae (caractérisée par la première paire de pattes atrophiée chez les adultes) et à la sous-famille des Nymphalinae. Ce sont des papillons de taille moyenne, d’une envergure de 5 à 6 cm, volant pour certains en une seule génération, le plus souvent en deux parfois même 3 générations dans les régions les plus méridionales. Le Vulcain (Vanessa atalanta), le Paon du jour (Aglais io), la Petite Tortue (Aglais urticae), la Grande Tortue (Nymphalis polychloros) et la Belle-Dame (Vanessa cardui) sont des Vanesses communes, facilement observables dans tout l’hexagone. Plus rare et plus grand (jusqu’à 7 cm), le Morio (Nymphalis antiopa) se rencontre au bord des rivières ou en lisière des bois humides.

Vulcain
Vulcain dont le rouge vermillon et le noir des ailes évoquent les forges du dieu romain.
(Vanessa atalanta)
Paon du jour
Paon du jour dont les gros ocelles rappelant l’ornementation des plumes du paon effarouchent les éventuels prédateurs.
(Aglais io)
Belle-Dame
La Belle-Dame ou Vanesse des chardons est le papillon diurne le plus répandu dans le monde.
(Vanessa cardui)
Petite Tortue
Petite Tortue, l’un de nos papillons les plus communs et les plus précoces. La couleur des ailes et leur ornementation rappellent l’écaille d’une tortue marine utilisée jadis en marqueterie, peut-être à l’origine de son nom.
(Aglais urticae)
Grande Tortue
Grande Tortue. Plus grande mais très proche de la Petite Tortue par sa livrée.
(Nymphalis polychloros)
Morio
Morio aux ailes abimées par la diapause hivernale. Son nom proviendrait du grec ancien mavros signifiant noir ou sombre, allusion à ses ailes brunes.
(Nymphalis antiopa)
Crédit photo : Marie-Thérèse Ziano

La plus petite, la Carte géographique (Araschnia levana) d’une envergure de 3 à 4 cm, doit son nom au réseau de lignes plus ou moins épaisses qui quadrillent le revers des ailes. Absente de la région Provence-Alpes-Côte d’azur, cette Vanesse a la particularité de présenter deux formes saisonnières, l’une printanière à fond orangé et l’autre estivale à fond noir. Ce dimorphisme est déterminé par la photopériode et la température au moment de la nymphose.

Carte géographique
Carte géographique au quadrillage du revers des ailes évoquant le tracé d’une carte.
(Araschnia levana)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Carte géographique
Carte géographique :
forme printanière orangée levana.
(Araschnia levana)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Carte géographique
Carte géographique :
forme estivale sombre prorsa.
(Araschnia levana)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus

Les ailes curieusement découpées du Robert-le-diable (Polygonia c-album) le rendent facilement identifiable. Dans les Alpes-maritimes et quelques départements du sud de la France, il peut être confondu avec la rare Vanesse des Pariétaires (Polygonia egea) aux taches alaires moins nombreuses et plus réduites. Le fort déclin de cette dernière en Provence depuis les années 70 serait dû au moins en partie à la raréfaction de sa plante-hôte, la Pariétaire judaïque, par le désherbage excessif des vieux murs que cette plante affectionne.

Robert-le-diable
Robert-le-diable, curieux papillon aux ailes très découpées.
(Polygonia c-album)
Robert-le-diable
La découpe de ses ailes postérieures dessine le profil d’un diable au long nez, à la manière des représentations médiévales.
(Polygonia c-album)

Si les ailes déployées des Vanesses exhibent des couleurs vives et variées, leur revers est le plus souvent sombre et peu contrasté. Le papillon au repos, ailes repliées, est ainsi peu visible aux yeux des prédateurs, que ce soit dans la végétation ou dans son abri hivernal. Les Vanesses ont en effet en commun de passer l’hiver sous la forme adulte (à l’exception de la Carte géographique hivernant sous forme de chrysalide et de la Belle-Dame qui préfère migrer vers des contrées plus chaudes). Rappelons que les papillons diurnes passent généralement l’hiver sous forme de chenille (parfois encore dans l’œuf) ou de chrysalide.

Vulcain
Vulcain montrant le revers sombre de ses ailes.
(Vanessa atalanta)
Petite Tortue
Petite Tortue au revers des ailes sombre et terne.
(Aglais urticae)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus

Avant d’aborder la mauvaise saison, les Vanesses accumulent des réserves, aspirant activement, selon l’espèce, le nectar des fleurs, le jus des fruits bien mûrs ou la sève suintant des arbres. Puis elles entrent en diapause, une période de léthargie et de jeûne de 4 mois à 8 mois, le plus souvent cachées dans des anfractuosités, des arbres creux ou divers abris sombres tels que greniers, remises ou bâtiments à l’abandon. Ces papillons hivernant résistent au froid grâce à des molécules cryoprotectrices, glycérol et sucres.

Vulcain
Vulcain butinant le nectar de fleurs de lierre en octobre.
(Vanessa atalanta)
Robert-le-diable
Robert-le-diable prélevant des nutriments sur une déjection canine en septembre.
(Polygonia c-album)
Vulcain
Vulcain se chauffant au soleil de décembre.
(Vanessa atalanta)
Les Vulcains du sud de la France restent actifs pendant l’hiver si les températures sont suffisamment douces. Il n’est pas rare de les voir voler en décembre lors de belles journées ensoleillées. L’exposition de leurs ailes sombres au rayonnement solaire fait augmenter rapidement leur température interne. Le Vulcain ci-contre a été photographié un 30 décembre sur le tronc d’un Pin du piémont du Ventoux. Ses ailes bien abimées révèlent peut-être un migrateur septentrional venu comme nombre de ses congénères passer l’hiver dans le sud. Pour les Vanesses ayant hiverné, la reprise d’activité a lieu dès février pour les espèces les plus précoces.
Petite Tortue
Petite Tortue sortie de sa diapause hivernale en février.
(Aglais urticae)
Grande Tortue
Une Grande Tortue précoce profitant du pâle soleil de février.
(Nymphalis polychloros)

Avec l’arrivée du printemps débute la période de reproduction. Une fois fécondées, les femelles partent à la recherche des plantes-hôtes (plantes dont vont se nourrir les chenilles) afin d’y déposer leurs œufs. Ils sont pondus en amas de quelques dizaines à plusieurs centaines chez la plupart des Vanesses mais sont dispersés chez le Vulcain, la Belle-Dame ou le Robert-le-diable (parfois aussi pondus en petits groupes chez ce dernier). La Carte géographique a la particularité de les empiler sous forme de colonnes au revers des feuilles d’ortie.

Petite Tortue
Ponte de Petite-Tortue en amas sur la face inférieure d’une feuille d’Ortie.
(Aglais urticae)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Vulcain
Œuf de Vulcain pondu isolément sur la face supérieure d’une feuille d’Ortie.
(Vanessa atalanta)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus

L’Ortie dioïque joue un rôle de première importance pour les Vanesses puisqu’elle peut être choisie comme plante-hôte par six d’entre elles. Elle est la plante nourricière exclusive des chenilles de la Carte géographique, de la Petite Tortue et du Paon-du-jour, optionnelle pour les chenilles du Vulcain, de la Belle-Dame et du Robert-le-diable qui acceptent aussi d’autres espèces végétales. Généralement délaissées par les herbivores du fait de leurs poils urticants, les orties assurent aux chenilles de ces Vanesses un gîte et un couvert de longue durée.

Petite parenthèse botanique : sur la photo de l’œuf de Vulcain ci-dessus, un poil urticant de l’Ortie dioïque est visible juste devant l’œuf. On distingue bien sa pointe fine et son ampoule située à la base. Lors d’une piqûre, la pointe en silice se casse et libère l’acide formique et l’histamine contenus dans l’ampoule, responsables de la sensation de brûlure et de l’inflammation.

Au bout de quelques jours, les œufs donnent naissance à des chenilles au corps hérissé de soies épineuses. Ces chenilles vivent souvent en communauté lors des premiers stades de leur développement larvaire, parfois au sein d’un réseau de fils de soie. Par l’effet de masse, ce grégarisme assure aux chenilles une protection vis-à-vis de certains prédateurs. Mais il facilite aussi les attaques de parasitoïdes notamment de Diptères Tachinidae à l’origine d’hécatombes dans les nids.

Vulcain
Toute jeune chenille de Vulcain sur Ortie dioïque.
(Vanessa atalanta)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Paon du jour
Chenille de Paon du jour ayant été parasitée par un Diptère Tachinidae.
La larve du Diptère visible au premier plan est sortie de la chenille pour se nymphoser, laissant cette dernière agonisante.
(Aglais io)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Petite Tortue
Jeunes chenilles grégaires de Petite Tortue sur Ortie dioïque.
(Aglais urticae)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Petite Tortue
Chenilles de Petite Tortue à un stade plus avancé sur Ortie dioïque.
(Aglais urticae)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Grande Tortue
Chenilles grégaires de Grande Tortue sur Saule marsault.
(Nymphalis polychloros)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus

Les chenilles solitaires sont certes plus vulnérables mais elles ont l’avantage d’être moins repérables par les prédateurs. D’autant que chez le Vulcain, la chenille construit un abri en rapprochant les bords d’une ou de plusieurs feuilles d’ortie qu’elle maintient par des fils de soie. La chenille de la Belle-dame fait de même sur ses nombreuses plantes-hôtes (chardons, cirses, ortie, mauves, …).

Vulcain
Cette jeune chenille de Vulcain courbe une feuille d’ortie à l’aide de fils de soie pour s’en faire un abri.
(Vanessa atalanta)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Belle-Dame
Chenille de Belle-Dame dans son réseau de fils de soie sur un Cirsium.
(Vanessa cardui)
Crédit photo : Martine Grillet

Le développement larvaire compte cinq stades. Les photos ci-après présentent des chenilles de plusieurs Vanesses, proches de la maturité. Les épines ramifiées dissuasives pour les prédateurs sont bien visibles.

Grande Tortue
Chenille de Grande Tortue.
(Nymphalis polychloros)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Carte géographique
Chenille de Carte géographique.
(Araschnia levana)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Paon du jour
Chenille de Paon du jour.
(Aglais io)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Petite Tortue
Chenille de Petite Tortue.
(Aglais urticae)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Petite Tortue
Chenille de Petite Tortue : forme sombre plus rare
(Aglais urticae)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Carte géographique
Prémices de la nymphose pour cette chenille de Carte géographique fixée au pétiole d’une feuille d’Ortie dioïque.
(Arascnhia levana)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Arrivées au terme de leur croissance au cinquième stade larvaire, les chenilles des espèces jusqu’ici grégaires se dispersent (elles se dispersent dès le 4ème stade chez la Petite Tortue). Toutes cessent de s’alimenter et cherchent un endroit propice pour se nymphoser, plante-hôte (ortie) pour la Carte géographique, plante basse, branche, tronc, mur pour les autres Vanesses. Certaines chenilles n’hésitent pas à parcourir plusieurs dizaines de mètres, cas de la Petite Tortue ou du Morio (jusqu’à 80 m pour ce dernier), avec pour elles un fort risque d’être prédatées en chemin. Ayant trouvé l’endroit adéquat, la chenille s’immobilise alors tête en bas, accrochée au support choisi par l’extrémité de l’abdomen. Pour cela, elles tisse une trame de filaments de soie sur lequel elle se fixe par son crémaster, organe griffu fonctionnant à la manière du Velcro.

Commence alors la transformation de la chenille en chrysalide. Après 12 à 48 h d’immobilisation, la « peau » de la chenille se fend au niveau de la ligne dorsale et laisse apparaître la chrysalide.

Paon du jour
Chrysalide de Paon du jour.
(Aglais io)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Nymphalis
Gros plan sur le crémaster de la chrysalide.
(Aglais io)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus

Mis à part le Vulcain dont la chrysalide est parfois dissimulée par une feuille enroulée, les Vanesses ont des chrysalides suspendues sans protection. Leurs couleurs discrètes leur assurent un certain camouflage. Plusieurs d’entre elles présentent des zones claires aux reflets nacrés susceptibles d’évoquer des gouttes d’eau sans intérêt aux yeux des prédateurs. En réfléchissant l’énergie solaire, ces plages claires éviteraient aussi une trop forte insolation des chrysalides. La durée de l’état nymphal est très variable selon la saison. D’une semaine en été, elle peut atteindre 8 mois pour les chrysalides hivernantes de la Carte géographique.

Vulcain
Chrysalide de Carte géographique.
(Araschnia levana)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus
Grande Tortue
Chrysalide de Grande Tortue.
(Nymphalis polychloros)
Crédit photo : Jean-Pierre Moussus

Bien que les Vanesses comptent encore parmi nos papillons les plus communs, un fort déclin au cours de ces dernières décennies est constaté pour plusieurs d’entre elles. Le plus spectaculaire est celui de la Vanesse des Pariétaires disparue d’une grande partie de la Provence. C’est aussi le cas du Morio, classé « en danger » en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes. La Petite Tortue et la Grande Tortue (protégée en Ile-de-France) accusent elles aussi une baisse de leurs effectifs. On est loin du temps où cette dernière abondait selon les propos de Réaumur, physicien et naturaliste du siècle des Lumières, relatés par Louis Figuier : « Il y en a des milliers qui se transforment en chrysalides vers la fin de mai ou le commencement de juin. Pour se transformer, elles quittent les arbres, elles vont souvent s’appliquer contre les murs, elles entrent même dans les maisons de campagne, elles pendent aux cintres des portes, aux planchers. Si les papillons qui en sortent vers la fin de juin ou au commencement de juillet volaient ensemble, il y en aurait assez pour former de petites nuées ».

Un grand merci à Jean-Pierre Moussus pour avoir fourni une grande partie des photos présentées. Merci aussi à Martine Grillet et Marie-Thérèse Ziano pour leurs contributions iconographiques ainsi qu’à Jacky Allemand pour le prêt du livre de Louis Figuier.

Sources :

  • Moussus J.-P., Lorin T., Cooper A. 2019 et 2022 Guide pratique des papillons de France. Guide Delachaux 416 pp.
  • Lafranchis T., Jutzeler D., Guillosson J.-Y., Kan P. & B. 2015 La Vie des Papillons. Ecologie, Biologie et Comportement des Rhopalocères de France. Editions Diatheo 752 pp.
  • Richard D., Maquart P.-O. 2023 La vie des papillons d’Europe. Ed. Delachaux 237 pp.
  • Figuier L. 1883 Les Insectes. 4ème édition. Librairie Hachette et Cie. Paris
  • Noé - Portrait du Morio
  • Lequet André - Le Vulcain ou Atalante Pages entomologiques
  • Cordier Jean-Yves (05-11-2015). Zoonymie du papillon La Petite Tortue Aglais urticae. Web