Les Zygènes
Les Zygènes sont de petits papillons aux ailes noires parsemées de taches rouge vif plus ou moins étendues que l’on peut fréquemment observer, en été, sur les lavandes ou les scabieuses qu’ils butinent volontiers. Ces lépidoptères sont singuliers car ils présentent à la fois des caractères des papillons de nuit (Hétérocères) et des caractères des papillons de jour (Rhopalocères). Ils possèdent en effet des antennes épaisses et au repos replient leurs ailes en toit au-dessus de leur abdomen, ce qui les apparente aux Hétérocères mais leur activité est strictement diurne comme chez les Rhopalocères. Aussi les Zygènes sont-elles classées parmi les Hétérocères diurnes, groupe qui réunit tous les Hétérocères totalement ou partiellement diurnes.
Les Zygènes sont des papillons de taille modeste dont l’envergure avoisine généralement les 3 cm. On peut les observer une grande partie de l’année. La Zygène de la Badasse (Z. lavandulae) et la Zygène de la Dorycnie (Z. rhadamanthus) sont les plus précoces, les adultes émergeant dès le mois d’avril. La Zygène de la Petite Coronille (Z. fausta), la plus tardive, présente un pic d’émergence entre mi-août et fin septembre. En Provence, il n’est pas rare de la croiser encore à la fin du mois d’octobre.
La plupart n’ont qu’une seule génération par an mais dans les régions les plus clémentes, deux émergences peuvent être observées pour quelques espèces comme la Zygène des prés (Z. trifolii), la Zygène des Lotiers (Z. filipendulae) ou la Zygène de la Petite Coronille. Chez la Zygène des sommets (Z. exulans), une espèce de l’étage alpin que l’on peut rencontrer dans les pelouses et combes à neige entre 2000m et plus de 3000m, le cycle dure deux ans, sans doute en raison des conditions extrêmes qui règnent à cette altitude.
Si la Zygène des Lotiers ou la Zygène des prés sont présentes dans presque toutes les régions de France, d’autres espèces sont plus localisées. C’est le cas de la Zygène de la Badasse, de la Zygène de la Dorycnie ou de la Zygène occitane (Z. occitanica) dont la distribution est typiquement méditerranéenne. La Zygène des Gesses (Z. nevadensis) ne se rencontre que dans quelques départements du sud-est ainsi que dans les Pyrénées-Orientales. Quant à la Zygène du Panicaut-bleu (Z. contaminei) et la Zygène des Pyrénées (Z. anthyllidis), elles ne peuvent être observées que dans certaines parties de la chaîne pyrénéenne.
Leurs exigences écologiques sont variées. La plupart sont des espèces de plaine ou de moyenne montagne affectionnant les milieux ouverts, surtout chauds et secs. La Zygène des prés préfère cependant les prairies humides à hautes herbes. La Zygène des sommets et la Zygène des Pyrénées sont inféodées aux pelouses de haute d’altitude, froides et humides pour la première, ensoleillés pour la seconde. La Zygène des bois (Z. lonicerae), celle des Vesces (Z. romeo) et celle de la Jarosse (Z. osterodensis) comptent parmi les rares espèces à apprécier les biotopes ombragés.
Les adultes butinent un grand nombre d’espèces végétales : Centranthe, Centaurée, Lavande, Scabieuse, Cirse, Panicaut, Echinops, Aphyllanthe... Les chenilles sont plus restrictives dans leurs choix alimentaires, leurs plantes-hôtes appartenant majoritairement à la famille des Fabacées (Hippocrépides, Lotiers, Vesces, Gesses, Trèfles, Sainfoins) ou, pour cinq d’entre elles, à celle des Apiacées (Panicauts, Boucages, Peucédan). La chenille de la Zygène des sommets est quant à elle polyphage : elle se nourrit sur différentes plantes des pelouses d’altitude.
Les œufs sont pondus sur les plantes-hôtes sous forme d’amas d’une douzaine à plus d’une centaine d’œufs, disposés de façon régulière ou irrégulière selon l’espèce. La Zygène de la Vésubie (Z. brizae) les fixe le plus souvent isolément dans le feutrage des feuilles de Cirses (Astéracées). La durée de l’incubation varie généralement de 6 à 12 jours. Chez de nombreuses espèces les chenilles, dès leur sortie de l’œuf, se livrent à un surprenant cannibalisme vis-à-vis des oeufs non éclos. Des études ont montré que cette source abondante de protéines animales assure aux larves néonates un développement meilleur et plus rapide qu’en absence de cannibalisme.
A l’exception des chenilles de la Zygène de la Petite Coronille et de la Zygène de la Badasse qui continuent à s’alimenter pendant l’hiver, les chenilles des Zygènes entrent en diapause pour hiverner à la fin du deuxième stade larvaire puis elles reprennent leur développement au printemps suivant. Elles se métamorphosent dans un cocon de soie blanc jaunâtre, fusiforme ou ovoïde, souvent fixé sur un brin d’herbe mais aussi sur une pierre ou un rocher chez la Zygène des sommets. Il est dissimulé sur le sol chez la Zygène de la Dorycnie.
Le corps des Zygènes retient facilement les grains de pollen lors du butinage. En passant d’une fleur à l’autre, ces petits papillons contribuent efficacement à la pollinisation des fleurs sauvages.
Ces substances toxiques ne découragent pourtant pas certains insectes prédateurs comme les Réduves, punaises carnivores au rostre puissant, qu’il n’est pas rare de voir capturer l’une d’elles. Chassant à l’affut dans la végétation, ces punaises injectent dans leur proie une salive protéolytique toxique qui l’immobilise et liquéfie ses tissus internes. Cette bouillie pré-digérée est ensuite ingérée à l’aide du rostre.
L’identification des Zygènes, basée principalement sur le nombre et la forme des taches des ailes antérieures ainsi que sur l’épaisseur de la bordure des ailes postérieures, est assez délicate. La variabilité est souvent importante au sein d’une même espèce et les sous-espèces décrites sont nombreuses. Ainsi, en France, la diversité d’ornementation de la Zygène des Lotiers a conduit à la description de 9 sous-espèces. La sous-espèce (polygalae) qui vole dans une grande partie de la France présente 6 taches rouges sur un fond noir plus ou moins mat. Elle diffère de la sous-espèce des Pyrénées-Orientales (pyrenes) à 5 taches sur un fond noir brillant et de la sous-espèce de Provence (oberthueriana) à 5 ou 6 taches plutôt discrètes sur un fond noir bleuté brillant.
La Zygène de la Coronille variée est, de plus, polymorphe. Elle regroupe deux populations génétiques dans lesquelles on peut rencontrer des individus à 5 ou 6 taches rouges et à ailes postérieures rouges bordées de noir (Z. ephialtes forme peucédanoïde), d’autres à 5 ou 6 taches blanches et à ailes postérieures noires ornées d’une unique tache blanche (Z. ephialtes forme éphialtoïde). Les trois photos qui suivent ont toutes été prises sur un même site du Nord-Vaucluse où vole la sous-espèce lurica.
Les accouplements peuvent aussi conduire à des erreurs d’identification des partenaires car les copulations entre espèces différentes ne sont pas rares chez ces papillons.
Enfin, la Zygène pourpre (Z. purpuralis) et la Zygène diaphane (Z. minos) ne peuvent être distinguées l’une de l’autre que par l’examen des organes copulateurs ou genitalia après dissection, un exercice réservé aux spécialistes. Dans les Pyrénées, la Zygène pourpre est la seule de ces deux espèces à être présente ; elle peut donc être identifiée sur photos sans avoir recours à la dissection.
Le diaporama qui accompagne cet article présente quelques Zygènes que l’on peut rencontrer dans le Ventoux et les Baronnies provençales. Pratiquant uniquement la photographie, les papillons n’ont pas fait l’objet d’une capture, ni d’une dissection. Z. purpuralis et Z. minos ne sont donc pas identifiées formellement et sont regroupées en Z. purpuralis/minos.
Pour aller plus loin :
Les glycosides cyanogènes (CNGlcs) font partie des molécules défensives synthétisées par les végétaux pour lutter contre les attaques des insectes phytophages. Leur goût amer est dissuasif et leur hydrolyse par une glucosidase libère du cyanure d’hydrogène (HCN), un inhibiteur de la chaîne respiratoire mitochondriale particulièrement toxique. Ces composés cyanogènes existent aussi dans le règne animal mais uniquement chez les arthropodes, principalement des mille-pattes ou des papillons dont les Zygènes. Au cours de l’évolution, les Zygènes ont acquis la capacité de synthétiser deux CNGlcs, la linamarine et la lotaustraline qui sont aussi les composés cyanogènes retrouvés chez les Fabacées. Résistant à ces molécules, les Zygènes ont pu investir la niche écologique constituée par les plantes de la famille des Fabacées, sans craindre la concurrence des autres espèces. Comme les adultes, les larves synthétisent des CNGlcs mais elles peuvent aussi les séquestrer à partir de leurs plantes-hôtes, la plupart d’entre elles appartenant à la famille des Fabacées. Chez les larves, les CNGlcs sont stockés dans des cavités situées dorsalement au niveau de la cuticule. La glucosidase est quant à elle localisée dans l’hémolymphe. Lorsqu’un prédateur comme un carabe s’attaque à une larve, l’irritation de la cuticule provoque l’émission de gouttelettes très visqueuses et particulièrement riches en CNGlcs qui engluent les mandibules et les pattes du prédateur et l’immobilisent. Cette défense mécanique peut être complétée par l’émission d’HCN si la glucosidase de la larve localisée dans l’hémolymphe est libérée suite à la blessure. Les études effectuées sur la Zygène des Lotiers montrent que les CNGlcs pourraient jouer un rôle plus large dans la biologie des Zygènes dont celui de source d’azote facilement mobilisable pour la synthèse de la chitine lors des mues. Ils joueraient aussi un rôle de phéromones et influeraient sur le choix des mâles par les femelles, celles-ci préférant s’accoupler avec des mâles riches en CNGlcs.
Un grand merci à Eric Drouet pour son expertise, le partage de documents et d’informations ainsi que pour sa relecture avisée. Merci aussi à Jean-Marin Desprez pour nos discussions ainsi qu’à Marie-Thérèse Ziano et Jean-Pierre Moussus pour leurs contributions iconographiques.
Sources :
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- Oreina - Les papillons de France