L'hôtel à insectes (suite)
Si les bouchons en terre sont souvent majoritaires dans les gîtes à abeilles (voir première partie), il n’est pas rare d’en observer d’autres constitués de matière végétale : pâte végétale, fragments de feuilles, de pétales, brins d’herbe, bourre végétale ou résine. Ils sont l’œuvre de plusieurs espèces d’abeilles de la famille des Megachilidae ainsi que d’une guêpe solitaire d’origine américaine. Enfin, certains bouchons ne sont ni en terre, ni en matière végétale mais sont constitués d’une fine membrane translucide. Cette membrane ressemblant à de la cellophane est sécrétée par de minuscules abeilles du genre Hylée. Une troisième partie présente quelques visiteurs opportunistes que l’on peut voir roder autour des hôtels à insectes .
BOUCHON EN PÂTE VÉGÉTALE
Osmie bleutée (Osmia caerulescens)
Un bouchon en pâte végétale est souvent le signe de l’activité d’une petite abeille sombre d’environ 8 mm, l’Osmie bleutée ou Osmie bleuissante. Contrairement à ses cousines cornues à fourrure épaisse, celle-ci a une pilosité clairsemée qui, chez la femelle, laisse apparaître une cuticule noire aux reflets bleu-nacré (plus ou moins intenses selon l’incidence de la lumière), d’où le nom donné à l’espèce.
Cette Osmie vole de Mars à Octobre généralement en deux générations. Les mâles plus petits et un peu plus velus que les femelles présentent de jolis reflets variant du vert métallique au doré. Ils émergent quelques jours avant les femelles et sont actifs pendant environ 3 semaines. Particulièrement vifs, ils ne laissent guère de temps au photographe pour la mise au point.
Chez les femelles, la brosse à pollen ventrale est noire. C’est une espèce polylectique (= butine sur de nombreuses espèces végétales) qui visite surtout les fleurs des Fabacées, Lamiacées et Boraginacées. Une pilosité particulière sur le clypeus (partie de la face située au-dessus des mandibules) permet aux femelles de peigner les anthères et d’en extraire le pollen.
Cette abeille accepte toutes sortes de cavités préexistantes pour nidifier et s’installe facilement dans les fragments de bambou des hôtels. Le bouchon terminal et les cloisons séparant les cellules larvaires sont construites en pâte végétale. Les larges mandibules aux dents acérées de la femelle lui servent à couper et mâcher des fragments de feuilles ou de pétales qu’elle transforme en « ciment » végétal. Les Mauves, Lotiers et Luzernes sont particulièrement appréciés.
D’autres Osmies du sous-genre Helicosmia dont le nid est obturé avec de la pâte végétale peuvent se rencontrer dans les hôtels à insectes. L’Osmia niveata n’est pas rare dans ces structures. Je n’ai pas encore eu la chance de la voir à l’œuvre mais elle sera présentée dès notre rencontre.
BOUCHON EN FRAGMENTS DE FEUILLES
Certains bouchons sont constitués de fragments de feuilles. Ils résultent de l’activité de Mégachiles estivales dites « coupeuses de feuilles ». Comme leur nom l’indique, ces abeilles découpent des fragments en forme de demi-cercle sur la bordure des feuilles ou des folioles de diverses essences. Elles les assemblent en des sortes de dés à coudre, chacun correspondant à une cellule larvaire contenant un œuf et un pain de pollen. S’il est plutôt rare de les observer en plein travail de découpage, les traces de leur activité sont bien visibles sur certains végétaux dont les feuilles ont l’air d’avoir été « poinçonnées ». Rosier, Glycine, Lilas, Symphorine, Fuchsia, charmille sont particulièrement appréciés. Ces prélèvements sont sans conséquence sur le développement des végétaux.
Mégachile du Rosier (Megachile centuncularis)
La Mégachile du Rosier est sans doute la plus commune des coupeuses de feuilles. Cette abeille d’environ 12 mm vole en une ou deux générations. On peut ainsi la rencontrer de début juin à fin octobre. La femelle se reconnaît à sa brosse entièrement rousse et son dernier tergite (segment abdominal dorsal) à la pilosité dressée. Elle est peu exigeante pour le butinage et visite une grande variété de végétaux.
Les femelles nidifient aussi bien dans le sol que dans des tiges creuses ou des cavités préexistantes dans le bois, acceptant la terre des pots de fleurs comme les bûches perforées ou les bambous des hôtels à insectes.
Mégachile de la Luzerne (Megachile rotundata)
Plus petite que la Mégachile du Rosier (8 à 9 mm), la Mégachile de la Luzerne se reconnaît à sa brosse à pollen blanche bordée de noir au niveau du dernier segment abdominal. Elle vole de fin juin à mi-août en une seule génération. C’est une espèce polylectique avec une forte attirance pour les Fabacées des genres Luzerne et Mélilot, d’où son nom. Elle nidifie dans diverses cavités notamment dans le bois mort et peut s’installer dans les hôtels et nichoirs artificiels dans lesquels elle privilégie les diamètres de 6 mm. Durant sa courte vie de 2 semaines à un mois, la femelle aménage 10 à 20 cellules qu’elle tapisse avec des morceaux de feuilles et qu’elle approvisionne en pollen et nectar, visitant près de 4000 fleurs en 6h de butinage journalier.
Importée fortuitement aux Etats-Unis en 1937 probablement de l’Europe du Sud-Est, l’espèce s’est bien adaptée, faisant même l’objet d’une exploitation depuis les années 60. Elle est en effet élevée massivement en Amérique du Nord pour augmenter la pollinisation des luzernières (champs de luzerne) destinées à la production de semences.
BOURRE VÉGÉTALE
Des fibres végétales à l’aspect de coton à l’entrée d’un nid indique le travail d’une Anthidie. Ces abeilles ressemblant à des guêpes dodues prélèvent des fibres sur des végétaux duveteux pour en tapisser les cellules de leurs nids, d’où leur nom d’abeilles cotonnières. Un article leur est consacré.
Anthidies cotonnières (Anthidium sp.)
BOUCHON EN RESINE
Abeille résinière géante (Megachile sculpturalis)
Aussi grande qu’une Abeille charpentière (jusqu’à 2,5 cm) cette Mégachile nous vient de l’est de l’Asie. Elle a été introduite involontairement en 2008 dans les environs de Marseille sans doute via l’importation de bois asiatique et a depuis colonisé pratiquement toute la France. Cette espèce monovoltine vole en France de début juin à mi-septembre et visite les fleurs de nombreuses espèces végétales. Dans le jardin, c’est le Gattilier (Vitex agnus-castus) qui attire mâles et femelles.
Cette abeille nidifie dans des cavités préexistantes, le plus souvent dans du bois et adopte volontiers les tiges de bambou des hôtels d’un diamètre voisin de 9 mm. La femelle utilise de la résine pour construire les cellules de son nid, d’où le nom d’abeille résinière géante parfois donné à l’espèce. Le bouchon est construit en résine parfois mêlée de fragments de bois, paille ou pétales. Le nid est parfois aussi scellé avec de la terre collectée sur des sols humides. Cette Mégachile a une fâcheuse tendance à vider les nids des autres occupants de l’hôtel pour y installer le sien, n’hésitant pas à expulser larves et nymphes notamment celles des Osmies.
Des études sont en cours pour évaluer l’impact de cette espèce sur la biodiversité. Pour ne pas la favoriser lors de l’installation des hôtels à insectes, les scientifiques recommandent d’utiliser des cavités de diamètre inférieur à 8 mm. Ce diamètre s’avère suffisant pour accueillir la plupart des hôtes habituels tout en permettant d’exclure cette abeille potentiellement invasive.
Hériades (Heriades sp.)
Des sections de bambou de faible diamètre bouchées avec un mélange de résine et de grains de sable ou de petits débris sont l’œuvre des Hériades, de petites abeilles résinières de la famille des Megachilidae. Un article leur a été consacré antérieurement.
BOUCHON CONSTITUÉ D’HERBES SÈCHES
De longs brins d’herbes sèches dépassant de cavités ou d’orifices sont le signe de l’activité d’une guêpe de la famille des Sphecidae, l’Isodonte mexicaine (Isondontia mexicana). Originaire d’Amérique centrale et du nord, elle a débarqué en France dans les années 60 et a depuis colonisé toute la France et une grande partie de l’Europe.
Cette grande guêpe solitaire estivale (environ 20 mm) est entièrement noire avec des ailes fumées. L’abdomen est relié au thorax par un long pétiole courbe. Les adultes floricoles butinent fréquemment le Lierre et les plantes aromatiques comme la Menthe ou le Fenouil. Le nid est installé dans diverses cavités comme des branches creuses mais aussi dans les cavités artificielles des hôtels à insectes ou les rainures des fenêtres. La femelle capture divers Orthoptères (criquets, sauterelles, grillons) qu’elle paralyse avant de les transporter dans le nid où ils serviront de nourriture pour les larves. Les cellules du nid sont séparées par des fragments de végétaux enchevêtrés. Après avoir construit 6 à 8 cellules, le nid est fermé avec de longues herbes sèches.
UNE MEMBRANE TRANSLUCIDE : UN BOUCHON NI MINÉRAL NI VÉGÉTAL
Les Hylées sont des abeilles appartenant à la famille des Colletidae. Avec leur petite taille (4 à 9 mm), leur corps d’un noir brillant et leur quasi absence de pilosité, on pourrait les confondre avec des fourmis ailées ou des guêpes fouisseuses. Elles sont aussi appelées abeilles masquées car elles présentent sur la face des marques d’un blanc jaunâtre. Ces marques sont réduites à des taches latérales sur la face des femelles mais elles forment un masque complet chez les mâles. Les Hylées comptent une cinquantaine d’espèces en France. Leur identification sur photos est incertaine, une dissection des genitalia sous loupe binoculaire étant souvent nécessaire.
Comme chez tous les Colletidae, la langue des Hylées est bifide et courte ce qui les contraint à rechercher le nectar de corolles peu profondes. Les Apiacées, Astéracées et Crassulacées sont des familles botaniques qu’elles affectionnent particulièrement. Contrairement aux autres abeilles, les femelles ne possèdent pas de brosse de récolte du pollen. Celui-ci est stocké dans le jabot en même temps que le nectar. Le mélange est régurgité sous une forme semi-liquide dans chaque cellule du nid .
Le nid est construit dans diverses cavités, le plus souvent des tiges creuses de végétaux morts et des tiges à moelle (ronces, sureaux). Elles s’installent volontiers dans les hôtels à insectes. Les cellules du nid, placées les unes à la suite des autres, sont tapissées d’une mince pellicule translucide ressemblant à de la cellophane. Cette substance est secrétée par les glandes salivaires de la femelle. Les cloisons et le bouchon sont constitués du même matériau. On n’observe qu’une seule génération par an pour ces petites abeilles sous nos latitudes.