Les Hériades résinières
Certaines abeilles sont dites caulicoles (du latin caulis = tige) car elles font leur nid dans des tiges creuses de végétaux comme le fenouil, les ronces sèches mais aussi dans les tiges lignifiées des roseaux et bambous, voire dans des galeries forées dans le bois par d’autres insectes. C’est le cas des Hériades qui, dans le jardin, ont choisi de nidifier dans le treillage en bambou servant de support à une Ipomée.
Les Hériades ou Heriades sont des abeilles de petite taille, en moyenne 6 mm pour les mâles et 7 mm pour les femelles, de la famille des Megachilidae (la brosse à pollen est ventrale chez les femelles de cette famille). Mâles et femelles présentent une cuticule (tégument externe) noire fortement ponctuée avec une discrète pilosité blanche. Les adultes volent en une seule génération de juin à fin octobre et sont strictement inféodées aux plantes de la famille des Astéracées. Dans le sud de la France, deux espèces extrêmement proches cohabitent, H. truncorum et H. crenulata que seule une capture suivie d’un examen sous loupe binoculaire permet de distinguer. La distinction étant hasardeuse sur photos, nous en resterons au genre "Hériades" pour le propos de cet article, la biologie de ces deux espèces étant comparable.
La biologie d’Heriades truncorum a été particulièrement bien étudiée par M. Maciel de A. Correia. En voici les principales caractéristiques.
Les mâles sont les premiers à prendre leur envol, en juin, devançant les femelles d’une ou deux semaines. L’accouplement a lieu dès l’émergence de ces dernières, souvent sur une inflorescence. La nidification débute 3 à 4 jours après l’accouplement. Les femelles choisissent des cavités tubulaires de faible diamètre, 3 ou 4 mm, comme ici les tiges en bambou du treillage, dans lesquelles elles aménagent une à six cellules larvaires disposées linéairement. Chaque femelle édifie en moyenne 3 nids au cours de sa courte vie d’environ un mois.
Ces abeilles sont qualifiées de résinières car les cellules larvaires sont tapissées de résine et sont séparées les unes des autres par de fines cloisons également en résine. Les fragments de résine sont collectés à l’aide des mandibules sur différentes espèces de Conifères, principalement des Pins pour H.truncorum. La construction de chaque cloison demande 1 à 3 h de travail et une trentaine de voyages pour la récolte de la résine.
Chacune des cellules larvaires contient un pain de pollen sur lequel est pondu un oeuf. Le pollen est récolté exclusivement sur les Astéracées. Dans le jardin, les Hériades apprécient particulièrement les Anthémis des teinturiers (Cota tinctoria), les Inules à feuilles de Spirée (Inula spiraeifolia) et les Picrides (Picris hieracioides).
La dernière cellule est généralement plus longue que les autres et ne contient ni réserve ni oeuf. Cette sorte de sas pourrait jouer un rôle de régulateur thermique tout en assurant une protection contre les parasites qui, comme nous le verrons par la suite, ne manquent pas de convoiter les nids. L’étape finale de la construction du nid est son obturation par un bouchon constitué d’un mélange de résine et de minuscules cailloux et débris.
L’oeuf éclôt au bout de 4 jours et la minuscule larve commence à s’alimenter sur le pain de pollen. Elle se développe rapidement et effectue 4 mues en une cinquantaine de jours puis elle tisse un cocon dans lequel elle commence sa nymphose. Elle entre alors en diapause (arrêt d’activité), passant la mauvaise saison à l’état de prénymphe et reprend au printemps suivant son développement jusqu’à l’émergence de l’adulte en juin. Malheureusement pour les Hériades, les oeufs et les larves ne donneront pas tous des adultes. Divers insectes se chargent en effet de « réguler » leurs populations.
Le nid terminé n’est pas synonyme de repos pour nos Hériades. Les femelles continuent en effet à collecter activement de la résine pour colmater les nombreuses fissures présentes à la surface des bambous qui rendent vulnérables les oeufs et les larves en cours de développement à l’intérieur des tronçons.
Mais ce colmatage minutieux et fastidieux s’avére bien dérisoire face à des insectes Hyménoptères parasitoïdes (= qui tuent leur hôte à plus ou moins brève échéance) ayant vite repéré les failles dans la protection des nids. L’un de ces parasitoïdes apparaît sur le treillage sitôt les nids des Hériades terminés. Il s’agit d’une femelle de Leucospis dorsigera, une petite guêpe solitaire rayée noire et jaune, d’environ 10 mm de long. Les Leucospis sont reconnaissables à leurs pattes postérieures à fémurs élargis et dentés. Les femelles sont pourvues d’un ovipositeur faisant le tour de l’abdomen et replié dans une gouttière dorsale lorsqu’il est au repos.
Leucospis dorsigera parasite principalement des nids d’abeilles solitaires de la famille des Megachilidae (aussi de certaines Apidae). Les œufs sont pondus sur ou contre les larves de l’abeille-hôte grâce à un ovipositeur incroyablement fin mais capable de traverser le bouchon et les parois du nid. Les larves de la guêpe se nourriront des larves de l’abeille qu’elles videront progressivement.
Une hypothèse pour expliquer cette surprenante dislocation de l’insecte pendant la ponte est donnée par Fabre (son observation concerne Leucospis gigas, une espèce très proche de L. dorsigera) : « Cette étrange disposition a pour effet de raccourcir le bras de levier de l’oviscapte (= ovipositeur), de rapprocher du point d’appui, c’est-à-dire des pattes, l’origine du filament (tarière) et de favoriser par ce moyen le difficultueux travail de l’inoculation en utilisant du mieux possible l’effort dépensé ». Une particularité des Leucospis étant leur capacité à pondre dans des nids construits dans des matériaux particulièrement résistants, cette stratégie de ponte serait donc une adaptation au forage dans des matériaux durs et épais comme le mortier des nids de Chalicodomes ou, comme ici, l’écorce des bambous.
L’arrivée du Leucospis sur le treillage précède de peu celle d’un autre Hyménoptère parasitoïde, un minuscule Eurytomidae de 3 mm de long, noir aux yeux d’un rouge vif étonnant qui pourrait être un Aximopsis. Lui aussi repère les points faibles des nids des Hériades et pond à l’aide de son ovipositeur au niveau de fentes dans l’écorce des bambous. Ce minuscule Hyménoptère est vraisemblablement un second parasitoïde des larves d’Hériades sans que l’hypothèse d’un hyperparasitisme des larves de Leucospis soit exclue.
Voici donc illustrée en quelques photos la dure loi de la nature vis-à-vis des petites Hériades qui, malgré un travail acharné à raison de 6 à 7 heures par jour, ne parviendront pas à assurer la protection de la totalité de leur progéniture.
Un grand merci à Matthieu Aubert pour son aide.
Sources :
- Michez D., Rasmont P., Terzo M., Vereecken N.J. (2019) Hyménoptères d’Europe.1 Abeilles d’Europe - N.A.P. Editions 547 pp.
- Vereecken N. (2017) Découvrir et Protéger nos abeilles sauvages - Editions Glénat 191 pp.
- Maciel de Almeida Correia M. (1980) Contribution à l’étude de la biologie d’Heriades truncorum L. (Hymenoptera, Apoidae, Megachilidae) Apidologie, 11 (4), 309-339.
- Marchiori C.H. (2022) Ethology of the Leucospidae family (Insecta: Hymenoptera) International Journal of Science and Research Archive, 07 (01) , 130-159.
- Fabre J.-H. (1886) Souvenirs entomologiques - Livre III, Chapitre IX, Les Leucospis - Paris 460 pp. consultable sur le lien suivant : Leucospis
- Löcherbienen Heriades crenulatus Web
- Fritzche M., Wintergerst J. Insekten Sachsen - Gekerbte Löcherbiene (Heriades crenulatus) Web