Les Anthidies cotonnières
Si votre jardin abrite un pied de Lavande, de Sarriette, de Germandrée arbustive ou de Pérovskia (Sauge de Russie), vous avez certainement remarqué ces Hyménoptères au bourdonnement sonore et au look de guêpes trapues qui alternent vol stationnaire et brusques accélérations, butinage et bagarre avec tout intrus qui s’aventure à proximité de leur plante nourricière. Si de plus, le feuillage gris argenté de vos Cinéraires maritimes, Epiaires de Byzance ou Coquelourdes vire au vert, pas de doute, vous hébergez des Anthidies cotonnières. Malgré leur habit noir rayé de jaune, ce ne sont pas des guêpes mais des abeilles solitaires du genre Anthidium. Les femelles de ce genre ont la particularité de tapisser leurs nids de "boules de coton" confectionnées avec des fibres qu’elles prélèvent sur des végétaux duveteux, d’où leur nom d’abeilles cotonnières ou d’abeilles cardeuses.
Les Anthidies cotonnières appartiennent à la famille des Megachilidae dont une caractéristique est la présence, chez les femelles, d’une brosse de récolte du pollen ventrale. Elles font partie de la tribu des Anthidiini au mode de nidification particulièrement diversifié. Ce sont des abeilles estivales volant en une seule génération. Elles sont fréquentes dans les jardins et peuvent être parfois observées dès le mois de mars pour Anthidium manicatum et jusqu’en octobre pour Anthidium florentinum. Faisant partie des abeilles à langue longue, elles butinent volontiers les fleurs à corolle profonde des Lamiacées et Fabacées. Certaines montrent une spécificité pour une famille botanique particulière comme Anthidium diadema qui ne butine que les Astéracées (espèce oligolectique).
Plusieurs de ces abeilles cotonnières fréquentent le jardin chaque été, Anthidium manicatum, Anthidium florentinum et Anthidium (Proanthidium) oblongatum, ce qui m’a permis d’observer leur comportement bien particulier. Leur taille varie selon l’espèce, 5 à 6 mm pour les femelles d’A. oblongatum mais 17 mm et plus pour les mâles d’A. florentinum et A. manicatum car chez les Anthidies et contrairement à ce que l’on observe chez les autres abeilles solitaires, ce sont les mâles les plus grands.
Ces mâles sont très territoriaux. Ils s’approprient un arbuste fleuri ou un groupe de plantes fleuries nectarifères susceptible d’attirer les femelles et passent une grande partie de leur temps à patrouiller, écartant tout butineur s’approchant un peu trop de leur territoire ; les femelles sont les seules à être tolérées pour le butinage. Pour repousser les indésirables, ils disposent d’armes redoutables : leurs derniers segments abdominaux (tergites) sont bordés d’épines qu’ils n’hésitent pas à projeter sur les intrus en les percutant violemment. L’agressivité des mâles d’A. manicatum et A. florentinum décourage même les imposants Xylocopes qui battent en retraite. Ce comportement territorial des mâles est bénéfique pour les femelles qui, ainsi, n’ont pas à souffrir de la concurrence des autres insectes butineurs.
Plus petit que les mâles d’A. manicatum et A. florentinum, le mâle d’A. oblongatum (à peine 10 mm) est aussi moins bien armé, les épines n’étant présentes que sur le sixième segment abdominal. Son agressivité est par contre comparable lorsqu’il s’agit de la défense de son territoire consistant, dans le jardin, en trois petits plants fleuris de Réséda raiponce.
Lorsqu’ils ne sont pas occupés à surveiller leur territoire, les mâles s’accordent un peu de répit. On peut les observer immobiles sur une inflorescence ou butinant pour faire le plein d’énergie avant de fondre, avec une brutalité étonnante, sur les femelles occupées à butiner. L’accouplement ne dure que quelques secondes, à peine le temps de faire la mise au point pour la photo. Puis chacun reprend son activité, surveillance pour le mâle, butinage pour la femelle. Contrairement aux femelles de la majorité des espèces d’abeilles qui ne s’accouplent qu’une seule fois au début de leur vie adulte, les femelles d’Anthidies sont polyandres et peuvent s’accoupler tout au long de leur courte vie.
Avec la fin de la journée ces activités s’interrompent et il n’est pas rare de trouver des mâles endormis sur leur plante fleurie, accrochés par la seule force de leurs mandibules.
Les femelles du genre Anthidium construisent leur nid dans des cavités préexistantes qu’elles tapissent de fibres végétales prélèvées sur des plantes velues. Leurs mandibules présentent des dents fines et acérées, adaptées au prélèvement de tomentum (fibres à la surface des végétaux). Dans le jardin, les femelles d’A. florentinum et oblongatum que j’ai pu observer et filmer semblent préférer les fibres des Cinéraires maritimes à celles des Epiaires de Byzance.
Je n’ai jamais réussi à suivre une femelle d’A. oblongatum jusqu’à son nid mais cette espèce nidifiant préférentiellement dans d’étroites fissures de substrats pierreux, une petite cavité remplie de coton repérée dans le mur de la maison pourrait peut-être correspondre à son nid (voir photo ci-dessus).
J’ai eu plus de chance avec une A. florentinum que j’ai pu suivre depuis la Cinéraire maritime "tondue" avec application jusqu’à son nid logé dans la serrure du garage.
Voici ces deux Anthidies en activité sur le même plant de Cinéraire, confectionnant chacune leur boule de coton :
Les zébrures noires et jaunes arborées par les guêpes et les Anthidies sont des signaux dits aposématiques. Ils avertissent les éventuels prédateurs de la dangerosité de l’insecte, dangerosité avérée puisque les femelles de ces Hyménoptères aculéates sont pourvues d’un dard. Malheureusement pour les Anthidies, cette stratégie s’avère inefficace contre les attaques des abeilles-coucous et des parasitoïdes.
La Stélis ponctuée (Stelis punctulatissima) dont le nom provient de la cuticule densément ponctuée chez cette espèce, est une abeille-coucou de la famille des Megachilidae et de la tribu des Anthidiini, cleptoparasite de certaines Anthidies. Comme toutes les abeilles-coucous, les femelles de Stelis ne construisent pas de nid et n’ont pas de brosse à pollen. Elles pondent dans les nids d’Anthidies en cours de construction, profitant d’un moment d’absence des femelles occupées à la collecte du pollen et du nectar ou à la confection des boules de coton. Leurs larves se développent aux dépens de celles de l’hôte, consommant les réserves accumulées par l’Anthidie pour sa progéniture qui, privée de nourriture, finira par mourir de faim.
Les nids des Anthidies peuvent aussi être la cible de minuscules Hyménoptères parasitoïdes comme les Monondotomerus (Chalcidoidea Torymidae) dont les larves se nourrissent du couvain de diverses abeilles de la famille des Megachilidae. Des études effectuées chez A. manicatum ont montré la présence de sécrétions végétales à la surface de certains des nids de cette Anthidie. Collectées par l’abeille au niveau de ses tarses à la pilosité importante, ces sécrétions odorantes issues de poils glandulaires de plantes telles que les Pelargonium, Antirrhinum ou Crepis permettraient de masquer l’odeur du nid (qui attire et guide le parasitoïde) tout en constituant une barrière défensive par leur nature collante. Le nid présenté ci-après, établi dans le châssis d’une fenêtre, pourrait peut-être illustrer cette stratégie.
En conclusion, si l’observation des Anthidies cotonnières s’avère passionnante, cohabiter avec ces petites bêtes implique quelques concessions comme celle de renoncer à la jolie teinte gris argenté de certains feuillages décoratifs ou celle de s’abstenir temporairement de mettre une clé dans une serrure...
Ne pas confondre :
Les Anthidies diffèrent des guêpes par leur pilosité souvent importante et leur allure beaucoup plus massive. Le régime alimentaire des larves est aussi différent : carnivore pour les guêpes et strictement végétarien (pollen et nectar) pour les abeilles.
Certaines mouches de la famille des Syrphes ainsi que des papillons Sesiidae miment les guêpes et Anthidies. Bien que ces espèces soient totalement inoffensives pour les prédateurs, leur costume rayé noir et jaune emprunté aux Hyménoptères à dard leur assure une protection efficace.
Un grand merci à Matthieu Aubert et Gérard Le Goff pour les échanges fructueux.
Sources :
- Michez D., Rasmont P., Terzo M., Vereecken N.J. (2019) Hyménoptères d’Europe.1 Abeilles d’Europe - N.A.P. Editions 547 pp.
- Vereecken N. (2017) Découvrir et Protéger nos abeilles sauvages - Editions Glénat 191 pp.
- Lampert K. P., Pasternak V., Brand P., Tollrian R., Leese F. (2014) Late male sperm precedence in polyandrous wool-carder bees and the evolution of male resource defence in Hymenoptera. Animal Behaviour 90 : 211-217.
- Müller A., Töpfl WW., Amiet F. (1996) Collection of extrafloral trichome secretions for nest wool impregnation in the solitary bee Anthidium manicatum. Naturwissenschaften 83, 230-232.
- Eltz T., Küttner J., Lunau K., Tolbian P. (2015) Plant secretions prevent wasp parasitism in nests of wool-carder bees, with implications for the diversification of nesting materials in Megachilidae. Frontiers in Ecology and Evolution 2, 1-7.
Dans les collections :
Les Anthidies cotonnières nidifient dans des cavités préexistantes très diverses, anfractuosité de mur, serrure, châssis de fenêtre comme nous venons de le voir, mais aussi galerie forée par un autre insecte ou ancien nid comme le montrent ces photos de nids de la collection de Gérard Le Goff.
La première photo montre des nids d’Anthidium diadema établis dans d’anciennes galeries forées dans de la terre granuleuse par des larves de Cigale. Le nid du milieu a été extrait du substrat et son unique cellule larvaire ouverte afin de mettre en évidence le pain de pollen (mélange de pollen et de nectar) de couleur jaune.
Sur la deuxième photo, une Anthidium manicatum a choisi de nidifier dans un tronçon de canne occupé préalablement par une Osmie cornue (Osmia cornuta). Les cellules de gauche aux cloisons en mortier appartiennent au nid de l’Osmie. Les cellules de droite tapissées de coton correspondent au nid de l’Anthidie. Trois adultes ont émergé de ces cellules.