Mythique Alexanor
L’Alexanor appartient à la famille des Papilionidae, une famille cosmopolite de papillons essentiellement tropicaux. En France, elle regroupe dix espèces aux couleurs souvent vives, certaines de grande taille comme le Flambé (Iphiclides podalirius), le Machaon (Papilio machaon) et l’Apollon (Parnassius apollo) et d’autres de taille plus modeste comme la Diane (Zerynthia polyxena) et la Proserpine (Zerynthia rumina). De même que le Flambé et le Machaon, l’Alexanor fait partie des Porte-queues dont le nom provient des prolongements effilés ou "queues" des ailes postérieures. C’est un papillon rare, très localisé dans les montagnes du sud-est de la France, entre Provence et Alpes du sud où il évolue principalement entre 400m et 1500m d’altitude. Sa rareté lui vaut d’être protégé au niveau européen. Il fait partie des 35 espèces de lépidoptères protégées en France.
Ce grand papillon de 5 à 7 cm d’envergure affectionne les éboulis calcaires et les escarpements rocheux des pentes chaudes où il butine chardons, cirses, centranthes, scabieuses et lavandes. On peut parfois le rencontrer sur les bancs de graviers du lit de certains cours d’eau à la végétation éparse. Mâle et femelle sont semblables avec des ailes antérieures à larges zébrures noires sur un fond jaune clair, les postérieures présentant une bande grise mêlée de bleu et une tache orange surmontée d’une tache bleue. L’extrémité des antennes est blanche.
L’Alexanor vole de mi-juin à début août en une seule génération. Il utilise les courants pour planer au-dessus de ses biotopes favoris, les mâles tournoyant à la recherche des femelles. C’est aussi un très bon voilier au vol puissant et rapide pouvant parcourir de longues distances, notamment pour changer de biotope lorsque celui-ci ne convient plus. Il présente la particularité d’être le seul de nos papillons de jour à passer la nuit posé avec les ailes grandes ouvertes.
Durant les 3 semaines de sa courte vie d’adulte, la femelle peut pondre une centaine d’oeufs qu’elle fixe isolément sur une inflorescence de Ptychotis à feuilles de Saxifrage (Ptychotis saxifraga), principale plante-hôte de l’espèce, choisie de préférence en boutons ou en début de floraison. Le nom un peu compliqué de cette plante provient des deux racines grecques ptyché signifiant pli et otos pour oreille, les pétales échancrés de cette plante présentant un pli les faisant ressembler à des oreilles. Cette bisannuelle de la famille des Apiacées présente de fortes exigences écologiques : supportant mal la concurrence d’autres plantes, elle ne se développe que sur des sols caillouteux calcaires récemment dénudés ou retournés comme les talus des bords de route ou des pistes forestières, les grèves de cours d’eau mais aussi, en Provence, les sillons des champs de lavande dont la terre est travaillée. Elle fleurit tardivement en fin d’été.
Au bout d’une semaine, les oeufs (ceux qui auront été épargnés par les punaises prédatrices et les hyménoptères parasites) donnent naissance à une petite chenille dont les cinq stades de développement se déroulent en un mois. Elle commence par consommer les fleurs et les fruits du Ptychotis, puis les feuilles ainsi que la tige. Il arrive que ces chenilles pratiquent le cannibalisme lorsque plusieurs congénères se partagent un même plant.
Si les jeunes chenilles pourvues de courtes épines arborent de discrètes couleurs vert pâle et noire propices au camouflage, les taches orange vif des chenilles plus âgées ne passent pas inaperçues. Elles sont dites aposématiques car elles préviennent les prédateurs potentiels comme les oiseaux que la chenille est inconsommable (car toxique ou au goût exécrable). Comme chez tous les Papilionidae, les chenilles d’Alexanor possèdent un osmeterium (ou osmaterium), organe jaune-orangé fourchu et rétractile, situé en arrière de la tête qu’elles déploient en cas de danger. Cet organe sécrète une substance malodorante répulsive pour les prédateurs. Ces mécanismes de défense s’avèrent toutefois inefficaces contre les attaques des Hyménoptères et des Diptères parasites et nombre de chenilles ne parviendront pas au stade de l’imago (la forme adulte).
Après un mois d’alimentation, les chenilles quittent leurs plantes nourricières pour se nymphoser. Elles choisissent une cachette abritée où elles resteront pendant 10 mois sous forme de chrysalides fixées à une pierre par une ceinture de soie. Celles qui auront résisté à un hiver passé dans des pierriers aux éboulis souvent mobiles se métamorphoseront, au printemps suivant, en ce beau papillon que tout naturaliste aimerait un jour rencontrer.
En conclusion, l’Alexanor est une espèce vulnérable, dépendant d’une plante-hôte à fortes exigences écologiques. La fermeture progressive des milieux, des reboisements en résineux inopportuns, l’utilisation d’insecticides dans certaines lavandaies, le surpâturage ainsi que la pression de collectionneurs sans scrupules dans l’arrière-pays toulonnais (à la recherche de la sous-espèce destelensis, plus grande que l’espèce nominale et en danger d’extinction) sont autant de menaces pour le maintien de ses populations.
Confusions possibles :
Deux autres Papilionidae Porte-queues, le Machaon et le Flambé, peuvent être à distance confondus avec l’Alexanor, d’autant que ces deux espèces affectionnent aussi les pentes caillouteuses chaudes et fleuries. Un examen un peu attentif de la base des ailes permet de les distinguer aisément (Jean-Pierre Moussus, communication personnelle) :
- Le Machaon présente une large plage gris sombre à la base des ailes antérieures.
- La base des ailes de l’Alexanor est ornée d’un triangle jaune cerné par le noir des zébrures basales des ailes antérieure et postérieure.
- Les ailes antérieures du Flambé, jusqu’à leur base, sont parcourues par des zébrures parallèles.
Les chenilles du Machaon et de l’Alexanor sont assez proches mais la teinte de fond est nettement verte pour le Machaon. Les plantes nourricières des chenilles sont différentes pour les trois espèces : très nombreuses Apiacées mais aussi Rutacées pour le Machaon, principalement Ptychotis à feuilles de Saxifrage pour l’Alexanor, nombreuses Rosacées arbustives pour le Flambé.
Ces trois papillons sont aussi proches par l’origine mythologique de leurs noms : Machaon et son frère Podalire sont les fils d’Asclepios, le dieu grec de la médecine. Héros de la guerre de Troie, ils se sont illustrés par leur pratique de la médecine auprès des cavaliers grecs blessés. Machaon soigna notamment la plaie de Ménélas atteint par une flèche. Alexanor est l’un des enfants de Machaon.
Un grand merci à Jean-Pierre Moussus pour sa relecture avisée et pour les discussions toujours passionnantes.
Sources :
- Moussus J.-P., Lorin T., Cooper A. 2019 Guide pratique des papillons de France. Guide Delachaux 416 pp.
- Lafranchis T., Jutzeler D., Guillosson J.-Y., Kan P. & B. 2015 La Vie des Papillons. Ecologie, Biologie et Comportement des Rhopalocères de France. Editions Diatheo 752 pp.
- Richaud S. (coord.) 2021 Déclinaison régionale du plan national d’actions en faveur des papillons de jour - Conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur - Sisteron, 139 p. + annexes.
- Vesco J-P. 2007 Vie et moeurs de Papilio alexanor - le monde des insectes Web
- Voisin L. 2012 Un biotope de Papilio alexanor ESPER 1799 Web
Une vidéo remarquable : Kan P., Kan-van Limburg Stirum B. 2016 : L’Alexanor (Papilio alexanor). Filming Varwild.