Les abeilles hélicicoles
Caragouilles, cagaroulettes, cargolines,... des noms à l’accent du Midi pour désigner de petits escargots blancs souvent agglutinés le long des tiges de fenouil, les Theba pisana. Si ces gastéropodes autrefois prisés par les Provençaux à l’heure de l’anisette ne rencontrent plus guère d’amateurs, caragouilles et autres limaçons ont toujours la faveur des insectes qui les recherchent pour leur chair, appréciée des carabes, staphylins et vers-luisants ou, plus insolite, pour leur coquille convoitée par des abeilles solitaires. Certaines espèces d’Osmies et d’Anthidies choisissent en effet d’établir leur nid dans des coquilles d’escargots vides (elles sont dites hélicicoles), témoignant encore une fois de l’originalité de la famille des Megachilidae lorsqu’il s’agit de nidifier.
Comme de nombreux jardins du Sud, le mien abrite majoritairement des hélicelles des Balkans (Xeropicta derbentina) une espèce invasive originaire des steppes arides du Caucase, arrivée en France dans les années 50. On repère facilement ces petits escargots blancs, agglutinés à l’extrémité de supports verticaux, tiges, rameaux, piquets, pour fuir la chaleur du sol en plein été. Dans le jardin, leurs coquilles vides sont nombreuses sur le sol. C’est l’une de ces coquilles en mouvement sur une pierre qui m’a permis de faire la connaissance d’une magnifique petite abeille rousse à reflets dorés, Osmia rufohirta.
Observée en mai dans le jardin, cette petite Osmie printanière du sous-genre Allosmia vole d’avril à fin juillet en une seule génération. Chez cette espèce, le nid est installé dans une coquille d’escargot choisie de petite taille. La femelle qui ne dépasse pas 8 mm a pour habitude de déplacer la coquille sur une distance pouvant atteindre plus de 2 m afin de la cacher sous une pierre ou au pied d’une touffe d’herbe. Pour cela, elle s’accroche à un support, ici un brin d’herbe, à l’aide des mandibules et poussse la coquille avec sa deuxième et sa troisième paires de pattes.
Le nid renferme une seule cellule approvisionnée en pollen et nectar collectés sur différentes familles de plantes, avec une préférence pour les Fabacées (Hippocrépide, Lotier, Trèfle, ...). Après la ponte d’un unique oeuf, il est scellé par un bouchon constitué par une couche de petits cailloux et de terre retenue par deux cloisons en pâte de feuilles (par exemple d’Hélianthème) ou de pétales mâchés (ex : Lotier). La coquille abritant le nid est recouverte de fragments de feuilles mâchées. Cet habillage façon treillis a certainement un rôle de camouflage vis-à-vis d’oiseaux amateurs d’escargots tels que les grives, avant que le nid soit définitivement mis à l’abri dans sa cachette. A la manière de certaines Anthidies cotonnières qui recouvrent leur nid de sécrétions végétales odorantes pour tromper les parasitoïdes attirés par l’odeur du nid et du couvain, ces fragments de feuilles pourraient peut-être aussi constituer des leurres olfactifs. Mais cette hypothèse n’engage que moi.
Le nid maculé de pâte végétale est ensuite installé dans la cachette choisie par la femelle, ici la base d’un plant de Violette. C’est au printemps suivant qu’une Osmie toute neuve émergera de la coquille si un prédateur ou un parasitoïde ne vient pas interrompre son développement.D’autres espèces d’Osmies hélicicoles sont présentes dans le jardin. Malheureusement, je n’ai pas pu voir les femelles à l’oeuvre pour la construction des nids. Aussi je vous les présente mais sans leurs escargots.
Osmia andrenoides est une toute petite Osmie de 5 à 6 mm, reconnaissable à son abdomen rouge et noir (sous-genre Erythrosmia). Cette espèce affectionne particulièrement les zones pierreuses dans lesquelles elle recherche des coquilles petites à moyennes (ex : Cernuella, Theba, Helix) cachées sous des pierres car les coquilles ne sont pas déplacées. Le nid renferme une à trois cellules larvaires séparées par une cloison en pâte végétale faite de pulpe de feuilles provenant, par exemple, de Potentille rampante. La femelle récolte le pollen préférentiellement sur les Lamiacées (Germandrée petit-chêne et Népéta dans le jardin). Sa face possède une pilosité particulière (poils entrecroisés) avec laquelle elle peigne les anthères afin d’en extraire les grains de pollen.
L’Osmia aurulenta est très proche de l’Osmia rufohirta avec laquelle elle peut être confondue bien qu’elle soit un peu plus grande (10 mm). Chez cette espèce du sous-genre Helicosmia, la femelle choisit une coquille d’escargot de grande taille (Helix, Cepaea) qui ne sera pas déplacée. Après avoir évacué les débris contenus dans la coquille, la femelle aménage 4 à 5 cellules larvaires, parfois plus, séparées par des cloisons en pâte de feuilles mâchées (par exemple des feuilles de Pimprenelle). La surface de la coquille est camouflée avec des fragments de pâte végétale. Comme chez O. andrenoides , la face de la femelle est pourvue d’une pilosité particulière qui lui permet d’extraire le pollen des anthères des Lamiacées et Fabacées que cette espèce affectionne.
Le petit mâle présenté ci-dessous, visiblement importuné par ma présence et plutôt téméraire, a préféré me montrer ses mandibules menaçantes plutôt que de prendre la fuite.
Chez les Anthidies aussi, certaines espèces choisissent de nidifier dans des coquilles d’escargots vides. C’est le cas des Rhodanthidium, abeilles résinières généralement de grande taille, à la cuticule noire ornée de taches jaunes ou rougeâtres.
Dans le jardin, les Rhodanthidium septemdentatum sont fréquents au printemps, butinant les fleurs de la germandrée arbustive, des centranthes, des sauges ou celles des géraniums sanguins. Comme chez les Anthidies cotonnières, les mâles possèdent des épines défensives sur les derniers segments abdominaux.
Plus grandes que les femelles d’Osmies, les femelles de Rhodanthidium choisissent pour nidifier des coquilles d’escargot de grande taille (Cepaea, Eobania, Helix) cachées sous des pierres, des végétaux ou dans des interstices car dans la majorité des cas, le nid n’est pas déplacé. Après l’aménagement d’une ou deux cellules larvaires, il est obturé par un bouchon constitué de fragments de coquilles, de petites pierres et de grains de sable mélangés à de la résine.
Le mâle de Rhodanthidium sticticum, autre espèce hélicicole, présenté ci-dessous n’a pas été photographié dans le jardin mais dans la garrigue des collines environnantes.
Malgré tous les efforts des femelles pour cacher leur nid et le protéger des prédateurs, celui-ci est parfois la cible de guêpes parasitoïdes de la famille des Chrysididae. Lors de la construction du nid par les abeilles, ces magnifiques guêpes aussi appelées guêpes dorées profitent d’un moment d’absence des fondatrices pour pondre dans l’une ou plusieurs des cellules larvaires. Les larves de la guêpe se développeront aux dépens de celles de l’abeille. La Chrysura refulgens parasite les nids des R. septemdentatum et R. sticticum. Comme les autres Chrysididae, elle ne craint ni les mandibules ni le dard des abeilles, se roulant en boule à la manière du pangolin ou du tatou lorsqu’elle est inquiétée. On rencontre souvent cette jolie guêpe sur les Euphorbes qu’elle apprécie particulièrement pour le butinage.
Bien que les escargots soient rarement les amis des jardiniers, j’espère que cet article saura convaincre certains d’entre eux de laisser quelques limaçons dans leurs plates-bandes et potagers. Ils régaleront les grives et les hérissons, les staphylins et les magnifiques carabes dorés aux populations en déclin, le recyclage des coquilles étant assuré par de surprenantes abeilles hélicicoles qui trouveront matière à nidifier tout en assurant une pollinisation efficace des plantes potagères et des arbres fruitiers.
Un grand merci à Matthieu Aubert pour son expertise (et son soutien !) et à Gérard Le Goff pour son expertise et sa relecture avisée ainsi que pour le partage de documents et de données concernant notamment les espèces d’escargots et les végétaux utilisés par ces abeilles.
Sources :
- Michez D., Rasmont P., Terzo M., Vereecken N.J. (2019) Hyménoptères d’Europe.1 Abeilles d’Europe - N.A.P. Editions 547 pp.
- Vereecken N. (2017) Découvrir et Protéger nos abeilles sauvages - Editions Glénat 191 pp.
- Müller A. (2022), Palaearctic Osmiine Bees, ETH Zürich, http://blogs.ethz.ch/osmiini
- Müller A., Praz C., Dorchin A. (2018) Biology of Palaearctic Wainia bees of the subgenus Caposmia including a short review on snail nesting in osmiine bees (Hymenoptera, Megachilidae) Journal of Hymenoptera Research 65, 61-89.
- Hostinska L., Kunes P., Hadrava J., Bosch J., Scaramozzino P.L., Bogush P. (2021) Comparative biology of four Rhodanthidium species (Hymenoptera, Megachilidae) that nest in snail shells. Journal of Hymenoptera Research 85, 11-28.